Reflets de l’Afrique : une exploration de l’identité et des enjeux contemporains
Après l’abolition de la traite négrière, une nouvelle forme de domination émergea : le colonialisme. En 1884-1885, la conférence de Berlin, orchestrée par Otto Von Bismarck, établit le partage de l’Afrique entre les principales puissances coloniales, notamment les Anglais et les Français. Cette entreprise s’inscrit dans une continuité historique, prolongement d’une volonté de domination déjà manifeste dans l’histoire européenne, à l’image de l’Empire romain.
Les souffrances infligées aux Africains, que ce soit à travers l’esclavage ou la colonisation, soulèvent des interrogations fondamentales. Ces expériences ne traduisent-elles qu’une domination passée, ou révèlent-elles une difficulté persistante à dépasser les complexes hérités de cette histoire ? Ces interrogations s’articulent autour de la quête de reconnaissance et du dépassement des traumatismes liés à un système oppressif.
Au cœur de cette dynamique, l’européocentrisme apparaît comme une clé d’analyse majeure. Ce concept, qui place l’Europe au centre du monde, a servi de socle idéologique pour légitimer une domination injustifiable. Pendant que les puissances coloniales pillaient les ressources africaines, elles justifiaient leurs actions par des arguments prétendument culturels et humanitaires, tels que l’apport des soins et de l’éducation, notamment par le biais des missions religieuses.
Cependant, derrière cette façade de bienveillance, des penseurs occidentaux déniaient à l’Afrique toute forme de culture, de civilisation et de philosophie. Les explorateurs, puis les colons, considéraient les Africains comme des êtres à peine humains, dépourvus des attributs fondamentaux d’un être accompli. Cette perception fut théorisée par Hegel dans « Les Leçons sur l’histoire de la philosophie ». Selon lui, la pensée et la philosophie étaient exclusivement occidentales, et l’Afrique, qualifiée de continent « ahistorique », ne pouvait accéder à la rationalité ni aux notions d’universel et de transcendance.
Hegel justifiait ses affirmations en opposant les conditions géographiques favorables, comme les régions côtières propices aux échanges et à l’expansion intellectuelle, aux conditions défavorables, telles que les plaines marécageuses et les steppes désertiques. Pour lui, la mer, par son rôle unificateur et son symbole de l’infini, favorisait le développement des peuples côtiers. En revanche, l’Afrique, dépourvue selon lui de ces atouts, restait en dehors de l’Histoire. Ces affirmations, bien qu’ancrées dans leur époque, reflètent un européocentrisme radical niant toute existence intellectuelle africaine.
Malgré ces discours, l’Afrique a toujours affirmé sa richesse culturelle. Des figures comme Kocc Barma Fall, au XVIIᵉ siècle. Des poètes comme Serigne Moussa Ka, Serigne Mbaye Diakhaté entre le XlXᵉ et XXᵉ siècle, et des érudits musulmans fiers de leur africanité et de leur accent wolof tels que Cheikh Ibrahima Niass démontrent l’arbitraire des jugements européo-centrés. Pascal, avec sa célèbre formule – « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » – résume bien ce relativisme ignoré par les tenants de la supériorité européenne.
Face à ces thèses, des intellectuels africains ont répondu avec force. Senghor, par la négritude, a célébré les spécificités culturelles africaines. Cheikh Anta Diop a plaidé pour une réappropriation de l’histoire africaine, tandis que Kwame Nkrumah a développé le consciencisme.
Aujourd’hui, des penseurs comme Mouhamadou Mbodj prolongent cette réflexion, explorant les voies possibles pour une Afrique réconciliée avec son identité.
Il montre dans « L’Afrique en face d’elle-même » que le continent fait face à des défis majeurs. Les systèmes politiques, hérités de la colonisation, ne correspondent pas aux réalités socioculturelles locales, entraînant des dysfonctionnements institutionnels. Sur le plan économique, le continent demeure sous l’emprise des multinationales étrangères qui monopolisent les secteurs clés, empêchant une véritable indépendance. Le système éducatif souffre également de multiples insuffisances : ation des programmes aux besoins du marché de l’emploi, taux élevé d’abandon scolaire et fuite des cerveaux vers l’étranger. Cette crise éducative perpétue une dépendance structurelle et limite les opportunités de transformation sociale.
Dans le domaine de la santé, la situation est tout aussi préoccupante. Le manque criant d’infrastructures, de personnel qualifié et de médicaments de qualité aggrave les souffrances des populations, tandis que les systèmes de soins peinent à répondre aux besoins essentiels. Cette négligence institutionnelle, combinée aux défis économiques et politiques, accroît la vulnérabilité des sociétés africaines.
Par ailleurs, l’Afrique reste dépendante des forces étrangères pour assurer sa sécurité. Les crises politiques récurrentes et les conflits internes renforcent cette dépendance, empêchant le continent de construire des solutions autonomes à ses propres défis sécuritaires. Cette réalité met en évidence l’impact des divisions régionales et des ingérences extérieures, qui minent l’idéal d’unité africaine porté par des leaders visionnaires comme Kwame Nkrumah ou Julius Nyerere.
Dans ce contexte, la persistance des divisions et le manque de cohésion continentale compliquent la réalisation d’un projet commun. L’idéal panafricain, pourtant essentiel à la construction d’une souveraineté africaine, peine à se concrétiser face à ces obstacles.
Pourtant, l’avenir du continent repose sur sa capacité à entreprendre des réformes structurelles profondes. Ces réformes doivent toucher les domaines clés : politique, économique, éducatif et sanitaire. Elles nécessitent une volonté politique forte, soutenue par une mobilisation collective autour d’un idéal commun. Ce n’est qu’en construisant des institutions adaptées aux réalités africaines et en valorisant ses ressources humaines et culturelles que l’Afrique pourra se libérer des entraves du passé et envisager un avenir souverain et prospère.
Ainsi, la quête d’un développement authentique pour l’Afrique ne saurait se réduire à une simple imitation des modèles occidentaux. Elle exige une réappropriation de son histoire, une réaffirmation de son identité et une mobilisation concertée pour relever les défis du présent.
Si aujourd’hui, le panafricanisme semble dans son ensemble s’inscrire dans dans cette dynamique, cela ne veut pas dire que les panafricains partagent les mêmes visions, les mêmes orientations et les mêmes objectifs. D’où l’importance de se demander s’il faut parler de panafricanisme ou de panafricanismes. Entre la singularité et la pluralité que choisir ?
La vision de Mouhamadou Mbodj sur le panafricanisme s’inscrit dans une approche profondément pragmatique et ancrée dans les réalités contemporaines de l’Afrique. Pour lui, le panafricanisme ne peut plus se limiter à une idéologie ou à un idéal purement spirituel et culturel, mais doit devenir un projet politique et économique concret, structuré autour d’actions tangibles et mesurables.
Mbodj défend l’idée que l’unité africaine ne doit pas être seulement une aspiration philosophique, mais une réponse aux défis systémiques auxquels le continent fait face : dépendance économique, crises politiques, insécurité alimentaire, migrations forcées et dégradation environnementale. Pour lui, le panafricanisme doit se réinventer afin de répondre aux impératifs de souveraineté, de résilience et de développement durable.
Selon sa vision, le panafricanisme contemporain repose sur trois piliers essentiels :
- L’intégration économique et industrielle
Mbodj considère que le panafricanisme doit prioriser la création d’un marché commun africain, fondé sur la valorisation des ressources locales, l’interconnexion des infrastructures et une industrialisation ambitieuse. Une opportunité majeure pour transformer les relations économiques intra-africaines, et qui réduira la dépendance aux puissances étrangères et garantira une redistribution équitable des richesses entre les nations du continent.
- La refondation politique
Il critique les systèmes politiques hérités de la colonisation, qu’il juge inadaptés aux réalités africaines. Mbodj plaide pour des institutions inclusives et démocratiques, enracinées dans les cultures et les traditions locales, mais ouvertes aux principes de gouvernance moderne. Selon lui, une union politique plus forte des États africains est nécessaire pour défendre les intérêts du continent sur la scène internationale et lutter contre les ingérences extérieures.
- La renaissance culturelle et éducative
Pour lui, la réussite du panafricanisme passe par une redéfinition de l’identité africaine, libérée des complexes hérités de l’histoire coloniale. Il prône une réforme des systèmes éducatifs pour réconcilier la jeunesse africaine avec son histoire, ses langues et ses valeurs, tout en lui offrant les compétences nécessaires pour relever les défis de la mondialisation. La culture n’est pas un simple ornement, mais une force capable de fédérer les peuples africains et de reconstruire une confiance collective.
L’auteur de « L’Afrique en face d’elle-même » insiste aussi sur l’urgence d’une action panafricaine concertée face aux crises globales, comme le changement climatique ou les pandémies, qui accentuent les vulnérabilités africaines. Pour Mbodj, le panafricanisme du XXIᵉ siècle est une alternative nécessaire au modèle occidental dominant, une voie vers un développement harmonieux et respectueux des spécificités africaines. Il n’est pas une simple utopie, mais une ambition réalisable, à condition qu’elle soit portée par une volonté politique forte et un engagement collectif des peuples africains.
Cheikh Fall GUEYE
CEO NSPN – Ingénieur pédagogique et numérique – Maître ès philosophie – Ecrivain